LE SOMMAIRE DU LIVRE

14. Progrès de la Réforme en Angleterre - La tragédie des siècles

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Pendant que Luther présentait au peuple allemand le volume ouvert des saintes Ecritures, Tyndale, poussé par l’Esprit de Dieu, en faisait autant en Angleterre. La traduction de Wiclef, faite sur le texte fautif de la Vulgate, n’avait jamais été imprimée, et le prix des copies manuscrites était tellement élevé que seuls les riches et les nobles pouvaient se les procurer. D’ailleurs, strictement proscrite par l’Eglise, elle avait été peu diffusée. En 1516, un an avant l’apparition des thèses de Luther, Erasme éditait sa version grecque et latine du Nouveau Testament. C’était la première fois que la Parole de Dieu était imprimée dans la langue originale. Dans ce travail, un bon nombre d’erreurs des anciennes versions étaient corrigées, et le sens du texte était plus clairement rendu. Cette édition amena les gens cultivés à une meilleure compréhension de la vérité, et donna une nouvelle impulsion à la Réforme. Mais le peuple était encore en grande partie privé de la Parole de Dieu. En la lui donnant, Tyndale devait achever l’œuvre de Wiclef.

Ce savant docteur, ardent chercheur de la vérité, avait reçu l’Evangile par le moyen du Nouveau Testament d’Erasme. Prêchant hardiment ses convictions, il déclarait que toute doctrine doit être éprouvée par les Ecritures. A l’affirmation papiste que l’Eglise a donné la Bible, et a seule le droit de l’interpréter, Tyndale répliquait : « Savez-vous qui a enseigné à l’aigle à trouver sa proie ? Eh bien, ce même Dieu apprend à ses enfants à trouver leur Père dans sa Parole. Loin de nous avoir donné les Ecritures, c’est vous qui nous les cachez ; c’est vous qui brûlez ceux qui les enseignent, et qui, si vous le pouviez, jetteriez au feu le Saint Livre lui-même. »

La prédication de Tyndale soulevait un grand intérêt, et beaucoup de gens appréciaient la vérité. Mais les prêtres étaient sur le qui-vive ; le prédicateur n’avait pas plus tôt quitté une localité qu’ils s’efforçaient, par leurs menaces et leurs calomnies, de démolir son œuvre. Ils n’y réussirent que trop souvent. « Que faire ? s’écriait-il. Pendant que je sème en un lieu, l’ennemi ravage le champ que je viens de quitter. Je ne puis être partout à la fois. Oh ! si les chrétiens avaient en leur langue la sainte Ecriture, ils pourraient eux-mêmes résister aux sophistes. Sans la Bible il est impossible d’affermir les laïques dans la vérité. »

Ses préoccupations se portèrent dès lors sur ce dernier objet. « C’est dans la langue même d’Israël, se dit-il, que les Psaumes retentissaient dans le temple de Jéhovah ; et l’Evangile ne parlerait pas parmi nous la langue de l’Angleterre ?… L’Eglise aurait-elle moins de lumière en plein midi qu’à l’heure de son aurore ?... Il faut que les chrétiens lisent le Nouveau Testament dans leur langue maternelle. » Les docteurs et les prédicateurs de l’Eglise ne s’entendaient pas entre eux ; il fallait donc chercher la vérité dans la Parole de Dieu elle-même. Tyndale ajoutait : « Vous suivez les uns Duns Scot ; les autres, Thomas d’Aquin ; et tant d’autres encore. … Or, chacun de ces auteurs contredit l’autre ! Comment donc discerner celui qui dit faux de celui qui dit vrai ? … Comment ? Par la Parole de Dieu. »

Peu après, au cours d’une dispute avec lui, un savant docteur catholique s’écriait : « Mieux vaut être sans les lois de Dieu que sans celles du pape. » A quoi Tyndale répliqua : « Je brave le pape et toutes ses lois, et si Dieu m’accorde la vie, je veux qu’avant peu un valet de ferme qui conduit sa charrue ait des Ecritures une meilleure connaissance que vous. » (Anderson, Annals of the English Bible, p. 39.)

Déterminé plus que jamais à donner le Nouveau Testament à son peuple dans la langue du pays, il se mit aussitôt à la tâche. Chassé de chez lui par la persécution, il se rendit à Londres où il put se livrer quelque temps à son travail sans empêchement. Mais la violence des papistes l’obligea de nouveau à prendre la fuite. Toute l’Angleterre lui paraissant fermée, il résolut d’aller demander l’hospitalité à l’Allemagne, et c’est dans ce pays qu’il commença l’impression de son Nouveau Testament. Quand on lui défendait d’imprimer dans une ville, il partait dans une autre. Deux fois, le travail dut être interrompu. Il se rendit enfin à Worms, où, quelques années auparavant, Luther avait plaidé la cause de la vérité devant la diète. Dans cette ville ancienne, où résidaient beaucoup d’amis de la Réforme, Tyndale acheva son travail sans nouvelle interruption. Trois mille exemplaires du Nouveau Testament furent bientôt imprimés, suivis d’une seconde édition, la même année.

Malgré la grande vigilance exercée par les autorités dans tous les ports d’Angleterre, la Parole de Dieu pénétrait dans Londres par différentes voies, et de là se répandait dans tout le pays. Les ennemis de la vérité cherchèrent en vain à la supprimer. Un jour l’évêque de Durham acheta à un libraire, ami de Tyndale, tout son stock de Bibles et le livra aux flammes, espérant ainsi entraver la diffusion du saint Livre. Ce fut le contraire qui arriva. Avec l’argent de l’évêque, on put imprimer une nouvelle édition, meilleure que la précédente. Lorsque, plus tard, Tyndale fut incarcéré, et qu’on lui offrit la liberté à condition de révéler le nom des personnes qui avaient contribué par leurs dons à l’impression des Bibles, il répondit que l’évêque de Durham avait été son plus fort souscripteur ; en achetant à un bon prix tout le stock en magasin, il lui avait donné les moyens d’aller courageusement de l’avant.

Livré, par trahison, entre les mains de ses ennemis, Tyndale passa plusieurs mois en prison et finit par sceller son témoignage de son sang ; mais les armes qu’il avait préparées donnèrent à d’autres soldats la possibilité de lutter avec succès jusqu’à nos jours.

Latimer soutenait du haut de la chaire qu’il faut lire la Bible dans la langue du peuple. L’Auteur des saintes Ecritures, disait-il, « c’est Dieu lui-même », et l’Ecriture participe de la puissance de son Auteur. « Il n’y a ni roi, ni empereur, ni magistrat qui ne soit tenu de lui rendre obéissance. … Ne prenons pas de chemin de traverse ; que la Parole de Dieu nous conduise. Ne suivons pas la voie de nos pères, et ne nous informons pas de ce qu’ils ont fait, mais de ce qu’ils auraient dû faire. » (Latimer, First Sermon preached before King Edward VI - Ed. Parker Soc.)

Deux fidèles amis de Tyndale, Barnes et Frith, se mirent à défendre la vérité. Les deux RidLey et Cranmer suivirent. Ces chefs de la Réforme anglaise étaient des savants, et la plupart d’entre eux avaient été hautement estimés dans la communion romaine à cause de leur zèle et de leur piété. Leur opposition à la papauté venait de ce qu’ils avaient remarqué les erreurs du Saint-Siège. Leur connaissance des mystères de Babylone ajoutait à la puissance de leur témoignage contre elle.

« Je vous poserai maintenant une étrange question, disait Latimer. Savez-vous quel est le plus zélé de tous les prélats de l’Angleterre ? … Je vois que vous vous attendez que je vous le nomme. … Eh bien ! je vous le dirai. … C’est le diable. Cet évêque-la, je vous l’assure, n’est jamais absent de son diocèse, et à quelque heure que vous vous approchiez de lui, vous le trouvez à l’œuvre. … Partout où il réside, les mots d’ordre sont : ,,A bas les Bibles et vivent les chapelets ! A bas la lumière de l’Evangile, et vive la lumière des cierges, fût-ce en plein midi ! A bas la croix de Jésus-Christ qui ôte les péchés du monde, et vive le purgatoire qui vide les poches des dévôts ! A bas les vêtements donnés aux pauvres et aux impotents, et vivent les ornements d’or et de pierres précieuses prodigués à des morceaux de bois et de pierre ! A bas les traditions de Dieu, c’est-à-dire sa très sainte Parole, et vivent les traditions et les lois humaines !" Oh ! si seulement nos prélats voulaient s’employer aussi activement à jeter la bonne semence de la saine doctrine, que Satan à semer la nielle et l’ivraie ! » (Latimer, Sermon of the Plough.)

Le grand principe revendiqué par ces réformateurs — celui que soutenaient les Vaudois, Wiclef, Jean Hus, Luther, Zwingle et leurs collaborateurs — c’est l’autorité infaillible des saintes Ecritures en matière de foi et de morale. Ils déniaient aux papes, aux conciles et aux rois le droit de dominer sur les consciences en matière religieuse. Les Ecritures étaient leur autorité, et c’est par elles qu’ils éprouvaient toutes les doctrines et toutes les prétentions. C’est la foi en Dieu et en sa Parole qui soutenait ces saints hommes quand ils étaient appelés à monter sur le bûcher. « Ayez bon courage », disait Latimer à ceux qui subissaient le martyre avec lui, alors que leur voix était près de s’éteindre ; « par la grâce de Dieu, nous allumerons aujourd’hui en Angleterre un flambeau qui, j’en ai la certitude, ne sera jamais éteint. » (Works of Hugh Latimer, vol. I, p. 13.)

En Ecosse, la semence jetée par Colomban et ses collaborateurs n’avait jamais entièrement disparu. Des siècles après que les églises d’Angleterre eurent fait leur soumission à Rome, celles d’Ecosse conservaient leurs libertés. Au douzième siècle, toutefois, le papisme s’établit dans ce pays et y exerça une autorité plus absolue qu’en aucun autre. Nulle part les ténèbres ne furent plus denses. Néanmoins, au sein de ces ténèbres, quelques rayons de lumière brillaient, qui annonçaient l’aurore. Les Lollards, venus d’Angleterre avec les saintes Ecritures et les enseignements de Wiclef, firent beaucoup pour conserver la connaissance de l’Evangile dans ce pays où chaque siècle eut ses témoins et ses martyrs.

A l’aube de la Réforme, les écrits de Luther et la traduction anglaise du Nouveau Testament de Tyndale pénétrèrent en Ecosse. Inaperçus par la hiérarchie, parcourant silencieusement monts et vaux, ces messagers rallumèrent dans cette région le flambeau de la vérité sur le point de s’éteindre, et démolirent ce qu’avaient accompli quatre siècles d’oppression romaine.

Puis le sang des martyrs donna au mouvement un nouvel essor. Les chefs papistes, s’apercevant soudain du danger qui menaçait leur cause, firent monter sur le bûcher quelques-uns des plus nobles et des plus respectés fils de l’Ecosse. Ils ne parvinrent ainsi qu’à ériger une chaire du haut de laquelle la voix de ces martyrs fut entendue de tout le pays et inspira au peuple la détermination de secouer les chaînes de Rome.

Hamilton et Wishart, aussi distingués par leur caractère que par leur naissance, terminèrent leur vie sur le bûcher, suivis d’une foule de disciples de plus humble origine. Mais du lieu où périt Wishart sortit un homme que les flammes ne purent réduire au silence, un homme qui, entre les mains de Dieu, devait porter le coup de grâce à la domination du pape en Ecosse.

John Knox — tel était son nom — se détourna des traditions et du mysticisme de l’Eglise pour se nourrir de la Parole de Dieu. Les enseignements de Wishart le confirmèrent dans sa détermination de répudier Rome pour se joindre aux réformés persécutés. Pressé par ses compagnons de prendre les fonctions de prédicateur, il reculait en tremblant devant une telle responsabilité et ne l’assuma qu’après des jours de retraite et de rudes combats intérieurs. Mais, dès lors, il alla de l’avant avec une détermination et un courage qui ne se démentirent pas un seul instant jusqu’à sa mort. Ce courageux réformateur ne craignait pas d’affronter les hommes. Les feux du martyre qu’il voyait flamber tout autour de lui ne faisaient qu’enflammer son zèle. Indifférent à la hache du tyran constamment levée au-dessus de sa tête, il n’en frappait pas moins à droite et à gauche des coups, redoublés contre les murailles de l’idolâtrie.

Appelé devant la reine d’Ecosse, en présence de laquelle le zèle de plusieurs chefs de la Réforme avait fléchi, John Knox rendit un témoignage inflexible à la vérité. Inaccessible aux flatteries, il ne se laissa pas intimider par les menaces. La reine l’accusa d’hérésie. Il avait, disait-elle, engagé le peuple à recevoir une religion prohibée par l’Etat et avait ainsi transgressé le commandement de Dieu enjoignant aux sujets d’obéir à leurs princes. Knox lui répondit fermement :

« La vraie religion ne doit pas sa puissance originelle et son autorité aux princes temporels, mais seulement au Dieu éternel ; par conséquent, les sujets ne sont pas tenus de conformer leur religion aux caprices des princes. Car il arrive souvent que ceux-ci soient plus ignorants de la vraie religion de Dieu que le reste du monde. … Si tous les fils d’Abraham avaient embrassé la religion de Pharaon dont ils étaient sujets, je vous le demande, Madame, quelle eût été la religion du monde ? Ou encore si, aux jours des apôtres, tous les hommes eussent été de la religion des empereurs romains, quelle religion eût régné sur la face de la terre ?… Vous le voyez donc, Madame, si les sujets doivent obéissance à leurs princes, ils ne sont cependant pas tenus de pratiquer leur religion. »

« Vous interprétez les Ecritures d’une façon, dit la reine, et les docteurs catholiques les interprètent d’une autre ; qui faut-il croire, et qui sera juge ? »

« Il faut croire Dieu qui nous parle clairement dans sa Parole, répondit le réformateur. Au-delà de ce qui est écrit, il ne faut croire ni les uns ni les autres. La Parole de Dieu s’explique elle-même ; et s’il semble y avoir quelque obscurité dans un passage, le Saint-Esprit, qui n’est jamais en contradiction avec lui-même, s’exprime plus clairement dans un autre, de telle sorte que le doute ne subsiste que pour ceux qui veulent obstinément demeurer dans l’ignorance. » (Laing, Works of John Knox, vol. II, p. 281, 284.)

Telles étaient les vérités qu’au péril de sa vie l’intrépide réformateur faisait entendre à la reine. Avec ce courage indomptable, puisé dans la prière, il poursuivit les batailles de l’Eternel jusqu’à ce que l’Ecosse eût brisé le joug de la papauté.

L’établissement du protestantisme comme religion nationale en Angleterre atténua la persécution sans toutefois l’abolir entièrement. Le peuple avait renoncé à plusieurs des doctrines de Rome, mais il conservait encore nombre de ses cérémonies. La suprématie du pape avait été remplacée par celle du roi. Dans le culte, on était encore bien éloigné de la pureté et de la simplicité évangéliques. Le grand principe de la liberté religieuse était méconnu. Les souverains protestants eurent rarement recours aux atrocités exercées par Rome contre l’hérésie ; toutefois, ils ne reconnaissaient pas à chacun le droit de servir Dieu selon sa conscience. Il fallait accepter les enseignements et suivre la forme de culte de l’Eglise établie ; aussi, des siècles durant, les dissidents furent-ils plus ou moins cruellement traités.

Au dix-septième siècle, il était interdit au peuple, sous peine de fortes amendes, de prison ou de bannissement, d’assister aux assemblées non autorisées par l’Eglise. Des milliers de pasteurs furent arrachés à leurs troupeaux. Les âmes fidèles, ne pouvant renoncer à adorer Dieu à leur manière, se retrouvaient dans d’étroites allées, dans de sombres greniers, et, à certaines saisons de l’année, au milieu des bois et à minuit. C’est dans les profondeurs protectrices des temples de la nature que ces enfants de Dieu se réunissaient pour faire monter au ciel leurs louanges et leurs prières. Mais, en dépit de toutes leurs précautions, une foule d’entre eux furent appelés à souffrir pour leur foi. Les prisons regorgeaient. Des familles étaient disloquées ou s’expatriaient. Mais Dieu était avec ses enfants, et la persécution ne parvenait pas à réduire leur témoignage au silence. D’ailleurs, un grand nombre d’entre eux, contraints de traverser les mers, se rendirent en Amérique où ils jetèrent les bases d’une république fondée sur le double principe de la liberté civile et religieuse, qui a fait la sécurité et la gloire des Etats-Unis.

On vit alors, comme aux jours des apôtres, la persécution contribuer aux progrès de l’Evangile. John Bunyan, jeté dans une infecte prison, au milieu de débauchés et de voleurs, y respirait néanmoins l’atmosphère même du ciel, et écrivit là sa merveilleuse allégorie du voyage du chrétien allant du pays de la perdition à la cité céleste. Depuis plus de deux siècles, cette voix sortie de la prison de Bedford ne cesse de remuer les cœurs. Les ouvrages de Bunyan, le Voyage du chrétien et Grâce abondante, ont amené un grand nombre d’âmes sur le sentier de la vie.

Baxter, Flavel, Aleine et d’autres hommes doués, cultivés, et d’une vie chrétienne austère, se levèrent à leur tour pour défendre vaillamment « la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes ». L’œuvre accomplie par ces hommes proscrits par les autorités civiles est impérissable. La Source de la Vie et la Méthode de la Grâce, de Flavel, ont montré à des milliers d’âmes comment on se donne à Jésus. Le Pasteur chrétien, de Baxter, a été en bénédiction à ceux qui désiraient un réveil de l’œuvre de Dieu, et son Repos éternel des saints a fait connaître à de nombreux lecteurs « le repos qui reste pour le peuple de Dieu ».

Un siècle plus tard, en un temps de grandes ténèbres spirituelles, parurent de nouveaux porte-lumière ; c’étaient Whitefield et les deux Wesley. Sous la domination de l’Eglise établie, l’Angleterre avait subi un déclin religieux qui l’avait ramenée à un état voisin du paganisme. La religion naturelle constituait l’étude favorite du clergé et renfermait presque toute sa théologie. Les classes supérieures se moquaient de la piété et se flattaient d’être au-dessus de ce qu’elles appelaient du fanatisme. Les classes inférieures étaient plongées dans l’ignorance et le vice, et l’Eglise n’avait ni le courage ni la foi nécessaires pour soutenir la cause chancelante de la vérité.

La grande doctrine de la justification par la foi, si bien mise en relief par Luther, était tombée dans l’oubli ; elle avait cédé le pas à la doctrine romaine du salut par les bonnes œuvres. Whitefield et les Wesley, membres de l’Eglise établie et honnêtes chercheurs de la grâce de Dieu, avaient appris à la trouver dans une vie vertueuse et dans l’observation des rites de la religion.

Un jour où Charles Wesley, gravement malade, attendait sa fin, on lui demanda sur quoi reposait son espérance de vie éternelle. « J’ai servi Dieu au mieux de mes connaissances », répondit-il. L’ami qui lui avait posé cette question ne paraissant pas entièrement satisfait de la réponse, Wesley se dit : « Quoi ! mes efforts ne seraient pas une base sufisante ? Voudrait-il me priver de mes mérites ? Je n’ai pas autre chose sur quoi me reposer. » (John Whitehead, Life of the Rev. Charles Wesley, p. 102 - 2e éd. améric. 1845.) Telles étaient les ténèbres qui avaient envahi l’Eglise, voilant le dogme de l’expiation, ravissant au Christ sa gloire et détournant l’attention des hommes de leur unique espérance de salut : le sang du Rédempteur crucifié.

Wesley et ses collaborateurs furent amenés à comprendre que la vraie religion a son siège dans le cœur, et que la loi de Dieu embrasse non seulement les paroles et les actions, mais aussi les pensées. La sainteté intérieure ne leur parut pas moins nécessaire que la correction extérieure, et ils voulurent vivre une vie nouvelle. Par la prière et la vigilance, ils s’efforçaient de combattre les inclinations du cœur naturel. Pratiquant le renoncement, la charité, l’humilité, ils observaient rigoureusement tout ce qui leur paraissait susceptible de les aider à atteindre leur but, à savoir : un état de sainteté qui assure la faveur de Dieu. Mais ils n’y parvenaient pas. Leurs efforts ne les délivraient ni du poids terrible du péché, ni de sa puissance. Ils passaient par l’expérience qui avait été celle de Luther dans sa cellule d’Erfurt, obsédés par la question même qui avait fait son supplice : « Comment l’homme serait-il juste devant Dieu ? » (Job 9 : 2.)

La flamme de la vérité divine qui s’était presque éteinte sur les autels du protestantisme devait être ranimée par l’ancien flambeau que les chrétiens de Bohême s’étaient transmis d’une génération à l’autre. Après la Réforme, le protestantisme de Bohême avait été f.oulé aux pieds par les sicaires de Rome. Tous ceux qui n’avaient pas voulu renoncer à la vérité avaient dû s’expatrier. Quelques-uns d’entre eux, ayant trouvé un refuge en Saxe, y avaient conservé leur foi. Ce furent leurs descendants, les Moraves, qui communiquèrent la lumière à Wesley et à ses associés. Voici dans quelles circonstances.

Après avoir été consacrés au saint ministère, Jean et Charles Wesley furent envoyés en mission en Amérique. A bord de leur vaisseau se trouvait un groupe de Moraves. De violentes tempétes éclatèrent au cours de cette traversée. Mis en présence de la mort, Jean Wesley gémissait de ne pas être en paix avec Dieu, tandis que les Saxons, au contraire, manifestaient une assurance et une sérénité auxquelles le jeune clergyman était étranger.

« Depuis longtemps, écrivait-il plus tard, j’avais observé le grand sérieux de leur maintien. Ils avaient donné des preuves constantes de leur humilité en rendant aux autres passagers des services auxquels les Anglais n’eussent pas voulu s’abaisser, et pour lesquels ils ne désiraient ni n’acceptaient aucune rémunération. ,,Il est bon, disaient-ils, que notre cœur orgueilleux soit soumis à de telles humiliations, car notre bon Sauveur a fait bien davantage pour nous." Chaque jour ils avaient manifesté une douceur à toute épreuve. Etaient-ils heurtés, frappés ou jetés à terre, ils se relevaient tranquillement, sans faire entendre la moindre plainte.

« Ils eurent bientôt l’occasion de prouver qu’ils étaient libres de la crainte comme ils l’étaient de l’orgueil, de la colère et de la rancune. … Un jour, pendant un de leurs services religieux, la tempête se déchaîna avec violence ; les vagues, se précipitant sur le navire, l’inondèrent et mirent en pièces la grande voile. Un cri de détresse s’échappa de bien des poitrines. Les Moraves seuls ne parurent pas émus ; ils n’interrompirent pas même le chant du Psaume qu’ils avaient commencé. Je demandai plus tard à l’un d’eux : ,,N’étiez-vous donc pas effrayés ?" Il me répondit : ,,Grâce à Dieu, non." — ,,Mais vos femmes et vos enfants n’avaient-ils pas peur ?" ,,Non, reprit-il simplement ; nos femmes et nos enfants n’ont pas peur de mourir." » (M. Lelièvre, John Wesley – 4e éd.- p. 72, 73.)

Arrivé à Savannah, Jean Wesley, lors d’un court séjour au milieu des Moraves, fut vivement impressionné par leur vie chrétienne. Il exprime en ces termes le contraste frappant d’un de leurs cultes avec le vain formalisme des églises d’Angleterre : « La grande simplicité et la solennité de cette scène me transportèrent dix-sept siècles en arrière, au milieu d’une des assemblées présidées par Paul, le faiseur de tentes, ou Pierre, le pêcheur : assemblée sans apparat, mais animée par une démonstration d’esprit et de puissance. » (Id., p. 75.)

De retour en Angleterre, Wesley parvint, sous la direction d’un prédicateur morave, à une claire intelligence de la foi qui sauve. Il comprit que, pour obtenir le salut, il faut renoncer à ses propres œuvres et s’en remettre entièrement à « l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. » Lors d’une réunion de la société morave de Londres, on lut une page de Luther sur le changement que l’Esprit de Dieu opère dans le cœur du croyant. Cette lecture engendra la foi dans le cœur de Wesley. « Je sentis, dit-il, que mon cœur se réchauffait étrangement. J’eus la sensation que je me confiais en Jésus, en Jésus seul pour mon salut ; et je reçus l’assurance qu’il m’avait enlevé mes péchés, oui, les miens, et qu’il me sauvait de la loi du péché et de la mort. » (Id., p. 87.)

Il venait de passer de longues et mornes années de luttes, de privations volontaires et de remords dans le seul dessein de trouver la paix de Dieu ; et maintenant, il l’avait trouvée ; il venait de découvrir que cette grâce, qu’il avait en vain demandée aux prières, aux aumônes et aux actes d’abnégation, est un pur don accordé « sans argent et sans aucun prix » !

Quand il fut affermi dans la foi en Jésus-Christ, Wesley conçut l’ardent désir de répandre en tous lieux le glorieux Evangile de la grâce gratuite de Dieu. « Je considère le monde entier comme ma paroisse, par quoi je veux dire que partout où je me trouve, je considère que j’ai le droit et le devoir strict d’annoncer la bonne nouvelle du salut à tous ceux qui veulent m’entendre. » (Id., p. 118.)

Il persévéra dans sa vie de frugalité et de renoncement, où il ne voyait plus la condition, mais la conséquence de sa foi ; non la racine, mais le fruit de la sainteté. La grâce de Dieu en Jesus-Christ est le fondement des espérances du chrétien, et cette grâce se manifeste par l’obéissance. Wesley consacra sa vie à la proclamation des grandes vérités qu’il avait reçues : la justification par la foi au sang expiatoire du Sauveur et la puissance régénératrice du Saint-Esprit dans le cœur, vérités dont le fruit est une vie conforme à celle de Jésus.

Whitefield et les deux Wesley avaient été préparés en vue de leur mission par le sentiment vif et prolongé de leur état de perdition ; en outre, afin de pouvoir tout endurer comme de bons soldats du Christ, ils durent passer par la fournaise du mépris et de la persécution, et cela tant à l’université qu’apres leur entrée dans le ministère. Par dérision, leurs condisciples impies leur donnèrent, à eux et à leurs amis, le nom de « méthodistes », dont s’honore aujourd’hui l’une des plus puissantes Eglises d’Angleterre et d’Amérique.

En leur qualité de membres de l’Eglise anglicane, ils étaient fortement attachés aux formes de son culte ; mais le Seigneur leur présenta dans sa Parole un idéal plus élevé. Le Saint-Esprit les poussa à prêcher Jésus et Jésus-Christ crucifié ; aussi la puissance divine se manifesta-t-elle dans leurs travaux. Des milliers de personnes, convaincues de péché, passèrent par une conversion réelle. Et comme il fallait que ces brebis fussent protégées des loups ravisseurs, et qu’il n’entrait pas dans l’intention de Wesley de former une Eglise nouvelle, il organisa ses convertis en ce qu’il appela la Branche méthodiste.

Une dure et mystérieuse opposition du côté de l’Eglise établie attendait ces prédicateurs. Mais Dieu, dans sa sagesse, veilla à ce que la Réforme commençât au sein même de l’Eglise. Si elle était venue du dehors, elle n’eût pu pénétrer là où elle était surtout nécessaire. Comme les prédicateurs du réveil étaient eux-mêmes membres de l’Eglise, et prêchaient sous son égide partout où ils en trouvaient l’occasion, la vérité se faisait jour dans des milieux qui leur fussent autrement restés fermés. Ainsi, certains membres du clergé se réveillerent de leur torpeur, et devinrent de zélés pasteurs de leurs paroisses. Des églises jusque-là pétrifiées par le formalisme renaquirent à une vie nouvelle.

Au temps de Wesley, comme dans tous les siècles, on vit l’œuvre de Dieu s’accomplir par des hommes qui avaient reçu des dons différents. Ils n’étaient pas d’accord sur tous les points de doctrine, mais, comme ils étaient tous animés de l’Esprit de Dieu, ils se laissèrent absorber par un seul et même objectif ; gagner des âmes au Sauveur. Des divergences d’opinion faillirent un moment provoquer une rupture entre Whitefield et les Wesley ; mais comme ils avaient acquis à l’école du Seigneur un esprit d’humilité et de conciliation, la charité triompha. Ils comprirent qu’ils n’avaient pas de temps à perdre en controverses, alors que l’erreur et l’iniquité débordaient et que, de toutes parts, les pécheurs allaient à la ruine.

Le chemin de ces serviteurs de Dieu était raboteux. Des hommes influents et instruits s’opposaient à eux avec acharnement. Bientôt, quelques membres du clergé leur manifestèrent une hostilité ouverte, et les portes de l’Eglise se fermèrent au réveil et à ses adeptes. En les dénonçant du haut de la chaire, le clergé déchaîna contre eux des gens ignorants et pervers. Jean Wesley n’échappa à la mort que grâce à des miracles répétés. Plusieurs fois, au milieu d’une populace furieuse, alors que toute fuite semblait impossible, un ange, sous une forme humaine, écarta la foule et conduisit le serviteur de Dieu en lieu sûr.

Voici comment Wesley raconte la manière dont il fut arraché à une meute de forcenés qui le poursuivaient : « Plusieurs tentèrent de me précipiter sur le raidillon d’une colline, en se disant sans doute que, si j’étais jeté à terre, il y avait peu de chance que je me relevasse. Mais je ne fis ni un faux pas, ni la moindre glissade, jusqu’à ce que je me trouvasse hors de leur atteinte. … Quelques-uns voulurent en vain me saisir par le col ou par mes vêtements pour me jeter à terre, un homme seulement arriva à s’emparer du pan de mon habit, qui ne tarda pas à lui rester dans la main, tandis que l’autre pan, dans lequel se trouvait un billet de banque, ne fut qu’à moitié déchiré. … Un robuste garnement qui se trouvait derrière moi brandit à plusieurs reprises un fort gourdin de chêne au-dessus de ma tête ; s’il m’en avait asséné un seul coup, c’en eût été fait de moi. Mais chaque fois, comme je ne pouvais aller ni à droite ni à gauche, le coup était mystérieusement détourné. … Un autre fendit la foule, le poing levé sur moi ; mais il le laissa retomber, me caressa la tête et se contenta de dire : ,,Comme il a les cheveux fins !" »

Wesley ajoute : « Les premiers dont les cœurs furent touchés étaient les bandits de la ville, toujours prêts à faire un mauvais coup ; l’un d’eux avait été boxeur de profession dans les jardins-brasseries. … Avec quelle tendre sollicitude le Seigneur nous prépare insensiblement à faire sa volonté ! Il y a deux ans, un morceau de brique effleura mon épaule. L’année suivante, une pierre me frappa entre les yeux. Le mois dernier, j’ai reçu un coup, et deux ce soir : un avant d’entrer en ville et l’autre après en être sorti ; mais je n’ai ressenti ni l’un ni l’autre. Le premier agresseur m’a frappé de toutes ses forces en pleine poitrine ; l’autre sur la bouche, avec tant de violence que le sang a jailli ; néanmoins, ces coups ne m’ont pas fait plus mal que si j’avais été touché avec une paille. » (Wesley’s Works, vol. III, p.297, 298.)

Les méthodistes de ce temps-là — prédicateurs et fidèles — étaient en butte à la moquerie et à la persécution aussi bien de la part des membres de l’Eglise établie que de celle des incrédules poussés par la calomnie. Souvent brutalisés, ils étaient traînés devant les tribunaux, où la justice, rare à cette époque, n’existait que de nom. La populace allait de maison en maison, saccageant tout, s’emparant de ce qui lui convenait, et maltraitant honteusement hommes, femmes et enfants. Parfois, les gens disposés à briser les fenêtres et à piller les maisons des méthodistes étaient convoqués par voie d’affiches et se donnaient rendez-vous pour tel jour, à telle heure et à tel endroit. Ce grossier déni des lois divines et humaines se pratiquait à la vue des autorités. Cette persécution systématique était dirigée contre une classe de personnes dont le seul crime était de chercher à détourner les pécheurs du sentier de la perdition et à les faire entrer dans celui de la sainteté !

Parlant des accusations portées contre lui et ses collaborateurs, Jean Wesley s’exprime ainsi : « Certains affirment que notre doctrine est fausse, erronée, enthousiaste ; qu’on n’en a entendu parler que récemment ; que c’est du quakerisme, du fanatisme, du papisme. La fausseté de toutes ces allégations a été démontrée maintes fois jusqu’à l’évidence ; il a été prouvé que chaque clément de cette doctrine n’est autre que l’enseignement de l’Ecriture tel que notre Eglise le comprend. Or, si les Ecritures sont vraies, cet enseignement ne peut être ni faux, ni erroné. … D’autres disent : ,,Leur doctrine est trop étroite : ils font le chemin du ciel trop étroit. C’est la, en effet, l’objection originelle : pendant un certain temps, elle a été la seule ; elle est au fond d’une foule d’autres qui prennent différentes formes. Reste à savoir si nous faisons le chemin du ciel plus étroit que notre Seigneur et ses disciples. Notre doctrine est-elle plus stricte que celle des saintes Ecritures ? Considérons seulement quelques passages clairs et précis : ,,Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée." ,,Les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole vaine qu’ils auront dite." ,,Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu."

» Si notre doctrine est plus stricte que cela, nous sommes blâmables ; mais vous savez — et votre conscience vous le dit — que ce n’est pas le cas. Celui qui ose être d’un iota moins strict falsifie la Parole de Dieu. L’administrateur des mystères de Dieu sera-t-il trouvé fidèle s’il change quoi que ce soit au dépôt qui lui a été confié ? Non, il n’en peut rien supprimer ni rien adoucir. Il est sous l’obligation de faire à tous cette déclaration : ,,Je ne puis abaisser les Ecritures à votre fantaisie. Il faut ou monter à leur niveau, ou périr éternellement." C’est là la base réelle d’une autre accusation populaire : notre ,,manque de charité". Manquons-nous réellement de charité ? Sous quel rapport ? Ne donnons-nous pas de quoi manger à ceux qui ont faim, et de quoi se vêtir à ceux qui sont nus ? — ,,Non, ce n’est pas ce que nous entendons : vous êtes parfaitement en règle sous ce rapport ; mais vous manquez de charité dans vos jugements : vous vous imaginez qu’on ne peut être sauvé qu’en faisant comme vous." » (Id., p. 152, 153.)

Le déclin spirituel constaté en Angleterre avant les jours de Wesley était dû en grande partie à l’enseignement de l’antinomianisme. (Du grec anti – contre- et nomos – loi.) Plusieurs affirmaient que, la loi morale étant abolie par Jésus-Christ, l’enfant de Dieu, affranchi de « l’esclavage des œuvres », n’est plus tenu de l’observer. D’autres, tout en admettant la perpétuelle obligation de la loi, déclaraient qu’il était superflu d’exhorter les auditeurs à en observer les préceptes, car ceux que Dieu a destinés au salut sont « irrésistiblement contraints, par la grâce divine, de pratiquer la piété et la vertu », tandis que ceux qui sont condamnés à la réprobation « n’ont pas la force d’obéir à Dieu ».

D’autres encore, sous prétexte que « les élus ne peuvent ni déchoir de la grâce, ni perdre la faveur de Dieu », en arrivaient à cette conclusion, plus odieuse si possible, que « le mal qu’ils font n’est pas réellement un péché ; qu’il ne peut donc étre considéré comme une violation de la loi divine, et que, par conséquent, ils n’ont lieu ni de le confesser, ni d’y renoncer ». (McClintock and Strong’s Cyclopedia, art. « Antinomians ».) Ils en déduisaient que certains péchés, même les plus scandaleux, et « universellement regardés comme des infractions flagrantes de la loi divine, ne sont pas des péchés aux yeux de Dieu » s’ils sont commis par des élus, car « c’est une des caractéristiques des élus de ne pouvoir rien faire qui déplaise à Dieu ou qui soit défendu par sa loi B ! »

Ces doctrines monstrueuses sont essentiellement celles de certains théologiens modernes qui nient l’existence d’une ligne de démarcation immuable entre le bien et le mal, et considèrent la norme de la morale comme dépendant de la société régnante et sujette, par conséquent, à de continuels changements. Toutes ces théories sont inspirées par un même esprit : celui qui, parmi les purs habitants du ciel, a tenté d’abattre les justes restrictions imposées par la loi de Dieu.

La doctrine de la prédestination comprise dans le sens que le caractère de tout homme a été irrévocablement fixé à l’avance, avait amené beaucoup de gens à rejeter l’autorité de la loi de Dieu. Wesley prouvait que cette doctrine, qui conduit à l’antinomianisme, est contraire aux saintes Ecritures. Il est écrit : « La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, a été manifestée. » « Cela est bon et agréable devant Dieu, notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. » (Tite 2 : 11 ; 1 Timothée 2 : 3-6.) L’Esprit de Dieu, libéralement répandu, peut mettre tout homme à même de saisir le salut. C’est ainsi que Jésus est « la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme ». (Jean 1 : 9.) Ceux qui ne parviennent pas au salut sont ceux qui refusent volontairement le don de la vie.

Voici ce que Wesley répondait à ceux qui prétendaient que le Décalogue a été aboli à la mort de Jésus avec la loi cérémonielle : « Jésus n’a pas aboli la loi morale des dix commandements dont les prophètes ont revendiqué la sainteté. L’objet de sa venue n’était pas d’en révoquer une partie quelconque. Cette loi — fermement établie comme un fidèle témoin qui est dans le ciel — ne peut être abrogée. Elle existe dès le commencement du monde, ayant été écrite, non sur des tables de pierre, mais dans le cœur des hommes quand ils sont sortis des mains du Créateur. Et bien que ses caractères, tracés du doigt de Dieu, soient maintenant profondément altérés par le péché, ils ne pourront être entièrement effacés, aussi longtemps qu’il restera en nous quelque conscience du bien et du mal. Toutes les parties de cette loi restent obligatoires pour la famille humaine et dans tous les siècles. Elle ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni des circonstances ; elle repose sur la nature de Dieu, sur celle de l’homme et sur leurs immuables relations mutuelles.

» ,,Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir." Sans l’ombre d’un doute, le sens de ces paroles de Jésus (d’après le contexte) est le suivant : Je suis venu établir la loi dans sa plénitude, en dépit de toutes les gloses humaines. Je suis venu mettre en pleine lumière tout ce qu’elle pouvait contenir d’obscur, révéler le sens véritable de chacune de ses déclarations, et montrer la longueur, la largeur et toute l’étendue de chacun de ses commandements, ainsi que leur hauteur, leur profondeur, la pureté et l’inconcevable spiritualité de toutes ses sentences. » (Wesley’s Works, sermon 25.)

Wesley enseignait que l’harmonie est parfaite entre la loi et l’Evangile. « Entre la loi et l’Evangile existent les rapports les plus intimes qu’il soit possible d’imaginer. D’une part, la loi prépare la voie à l’Evangile et nous y conduit ; d’autre part, l’Evangile nous ramène à une plus parfaite observation de la loi. Par exemple, la loi enjoint l’amour de Dieu et du prochain, la douceur, l’humilité, la sainteté. Or, nous nous sentons incapables d’y atteindre ; ,,aux hommes cela est impossible" ; mais Dieu nous a promis de nous donner cet amour et de nous rendre humbles, doux, saints ; à nous de nous saisir de cet Evangile, de cette bonne nouvelle ; il nous est fait selon notre foi ; et ,,la justice de la loi sera accomplie en nous" par la foi en Jésus-Christ. …

» Au premier rang des ennemis de l’Evangile, disait Wesley, il faut placer ceux qui, ouvertement et explicitement, ,,parlent mal de la loi et jugent la loi" ; ceux qui enseignent aux hommes à violer (ébranler, supprimer, renverser) non seulement un seul, fût-ce le plus petit ou le plus grand des commandements, mais tous. … Ce qu’il y a de plus surprenant en tout ceci, c’est que les victimes de cette puissante séduction s’imaginent réellement honorer Jésus-Christ en renversant sa loi, et magnifier son sacerdoce en détruisant sa doctrine. Ils l’honorent à la manière de Judas, qui lui disait: „Salut, Maître", et lui donnait un baiser. Avec tout autant d’à-propos, Jésus peut dire à chacun d’eux : ,,C’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ?" Abolir une partie quelconque de sa loi sous prétexte de hâter les progrès de son Evangile équivaut à le trahir par un baiser et à parler de son sang purificateur tout en lui ravissant sa couronne. Comment donc pourra-t-il se soustraire à cette accusation, celui qui, directement ou indirectement, prêche la foi de façon à dispenser les hommes d’une parcelle quelconque de leur obéissance, et qui présente le Sauveur de manière à annuler ou affaiblir le moindre des commandements de Dieu ? » (Ibid.)

Certains docteurs enseignaient que la prédication de l’Evangile tenait lieu de loi. Wesley leur répondait: « Nous le nions absolument. Elle ne tient pas lieu du tout premier objet de la loi, qui est de convaincre de péché, de réveiller ceux qui dorment encore sur le seuil même de l’enfer. L’apôtre Paul déclare que ,,c’est la loi qui donne la connaissance du péché" ; or, l’on n’éprouve le besoin du sang expiatoire du Sauveur que quand on a été convaincu de péché. … ,,Ce ne sont pas ceux qui se portent bien", remarque notre Seigneur lui-même, „qui ont besoin de médecin, mais les malades". Il est absurde de proposer un médecin à ceux qui se portent bien, ou qui, du moins, se croient bien portants. Il faut d’abord les convaincre qu’ils sont malades ; autrement, ils ne vous sauront pas gré de vos bons offices. Il est également absurde de parler du Sauveur à ceux dont le cœur n’a pas encore été brisé. » (Id., sermon 35.)

Ainsi, tout en prêchant l’Evangile de la grâce de Dieu, Wesley, à l’instar de son Maître, s’efforçait de « rendre sa loi grande et magnifique ». Il s’acquitta fidèlement de la tâche que le Seigneur lui avait confiée et il lui fut permis d’en contempler les glorieux résultats. A la fin d’une vie longue de plus de quatre-vingts ans — plus d’un demi-siècle de ministère itinérant — ses partisans déclarés se chiffraient à plus d’un demi-million. Mais la multitude d’âmes arrachées à la ruine et à la perdition par le moyen de son labeur, et toutes celles que ses enseignements ont amenées à une vie chrétienne plus profonde, ne seront connues que dans le royaume éternel. La vie de Wesley offre à tout chrétien un enseignement d’une valeur incalculable. Plût à Dieu que la foi et l’humilité, le zèle inlassable, l’abnégation et la vraie piété de ce serviteur de Dieu fussent l’apanage des églises de nos jours ! »


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