LE SOMMAIRE DU LIVRE

05. Jean Wiclef - La tragédie des siècles

Enregistrement audio
John Wiclif ou Jean de Wiclef (1321-1384)
John Wiclif devant les prêtres lollards

Avant la Réforme, les exemplaires de l’Ecriture sainte étaient rares. Mais Dieu ne permit pas que sa Parole disparût. Ce trésor ne devait pas rester enfoui. L’auteur de cette Parole pouvait la faire sortir de l’obscurité tout aussi facilement qu’il ouvrait les portes des cachots ou brisait les barreaux des prisons où languissaient ses enfants fidèles. Dans plusieurs pays, d’aucuns cherchaient la vérité comme on cherche des perles. Ils furent dirigés providentiellement vers l’Ecriture sainte et ils en scrutèrent les pages avec le plus grand soin, bien décidés à y trouver la lumière. Ils parvinrent peu à peu à discerner de nombreuses vérités oubliées depuis longtemps. Devenus des messagers de Dieu, ces hommes s’efforcèrent de briser les chaînes de l’erreur et de la superstition. Ils invitaient les captifs à faire valoir leur droit à la liberté.

En dehors des vallées vaudoises, la Parole de Dieu avait été comme figée dans une langue que seuls les savants connaissaient. Mais le moment était venu de la traduire en langue vulgaire pour la mettre à la portée de tous. La nuit allait bientôt disparaître. Lentement, les ténèbres se dissipaient, et, dans plusieurs pays, on voyait déjà les premières lueurs de l’aurore.

Au quatorzième siècle naissait en Angleterre Jean Wiclef, " l’étoile de la Réforme " . Son témoignage retentit non seulement en Grande-Bretagne, mais au sein de la chrétienté

tout entière. Sa puissante protestation contre Rome ne devait jamais être oubliée. Ce fut le signal d’une lutte qui aboutit à l’émancipation des individus, des églises et des nations.

Bien qu’ayant reçu une éducation libérale, Wiclef regardait la crainte de Dieu comme le commencement de la sagesse. Au collège déjà, il s’était fait remarquer autant par la ferveur de sa piété que par sa science. Sa soif de connaissances le poussa à embrasser toutes les branches d’études. Versé dans la philosophie scolastique, il put en dévoiler les erreurs, et ses études du droit canon et du droit civil le préparèrent à lutter vaillamment en faveur de la liberté civile et religieuse. La discipline intellectuelle qu’il avait acquise dans les écoles s’ajoutait aux armes qu’il tirait de la Parole de Dieu et le mettait à même de comprendre la tactique des savants. Son génie et sa science lui valaient à la fois le respect de ses amis et de ses ennemis. Ses partisans voyaient avec satisfaction que leur champion

supportait avantageusement la comparaison avec les plus grands penseurs du pays. Aussi ses adversaires n’eurent-ils pas l’occasion de discréditer la cause de la Réforme en alléguant l’ignorance ou la faiblesse de ses défenseurs.

A cette époque, les Livres saints n’existaient que dans des langues mortes et n’étaient accessibles qu’aux savants ; mais certains d’entre eux avaient trouvé dans les Ecritures la grande doctrine de la grâce de Dieu et l’avaient incorporée à leur enseignement. De là, elle s’était répandue au-dehors, et plusieurs avaient été amenés à sonder les oracles de Dieu. La voie au futur réformateur se trouva ainsi préparée.

Lorsque son attention fut appelée sur les Ecritures, il en entreprit l’étude avec la même conscience qu’il avait apportée à celle du programme universitaire. Après avoir éprouvé des aspirations que ni la scolastique, ni les enseignements de l’Eglise n’avaient pu assouvir, il trouva dans la Bible ce qu’il avait vainement cherché ailleurs. Il y découvrit le plan de la rédemption, et contempla en Jésus-Christ l’unique Avocat de l’homme auprès de Dieu. Dès lors, se donnant tout entier au service du Seigneur, il prit la résolution de proclamer les vérités qu’il avait découvertes.

Comme sa lutte avec Rome n’était point un acte délibéré, Wiclef, pas plus que les réformateurs qui lui succédèrent, ne vit immédiatement où son œuvre devait le conduire. Mais son ardeur pour la vérité ne pouvait manquer de l’entraîner dans un conflit. D’ailleurs, plus il discernait les errements de la Papauté, plus il mettait de ferveur à sonder les Ecritures. Convaincu que les traditions humaines implantées par Rome avaient supplanté la Parole de Dieu, il en accusa hardiment le clergé. Il demanda que la Bible fût rendue au peuple et que l’Eglise reconnût à nouveau son autorité. Ce fut un puissant docteur, un prédicateur éloquent. Sa connaissance des Ecritures, la puissance de son raisonnement, la pureté de sa vie, son courage indomptable et son intégrité lui gagnaient l’estime et la confiance de tous : prompt à discerner l’erreur, il dénonçait avec hardiesse les abus sanctionnés par l’autorité de Rome. Aussi, un grand nombre de personnes qui avaient perdu confiance en l’Eglise à la vue des iniquités qui y prévalaient, acclamaient-elles avec une joie non dissimulée les vérités annoncées par Wiclef. En revanche, quand les chefs de la hiérarchie constatèrent que l’influence de ce réformateur primait la leur, leur fureur se déchaîna.

Alors qu’il remplissait les fonctions de chapelain du roi, Wiclef, s’élevant contre le tribut que le pape exigeait de ce dernier, démontra que les prétentions papales sur les souverains séculiers étaient contraires à la raison et à la révélation. Sa protestation exerça sur les esprits une influence d’autant plus grande que les exigences du pape avaient provoqué une vive indignation parmi le peuple. Aussi le roi et les nobles s’unirent-ils pour s’opposer aux exigences du pontife en tout ce qui touchait à l’autorité temporelle et à la levée des impôts. Ce fut là un coup redoutable porté à l’autorité papale en Angleterre.

L’institution des ordres de moines mendiants était un autre abus contre lequel le réformateur engagea une guerre longue et acharnée. Ces moines pullulaient à tel point en Angleterre qu’ils compromettaient la grandeur et la prospérité de la nation. L’industrie, l’instruction publique, la moralité, tout se ressentait de leur pernicieuse influence. Leur vie d’oisiveté et de mendicité n’imposait pas seulement au peuple un lourd fardeau, mais elle ravalait les travaux utiles et démoralisait la jeunesse. Entraînés par leur exemple, un grand nombre d’adolescents embrassaient la vie monacale, et cela non seulement sans le consentement de leurs parents, mais souvent à leur insu ou contre leur volonté. L’un des anciens Pères de l’Eglise, élevant la vie monastique au-dessus de l’amour filial et des devoirs qui en découlent, avait écrit : " Si tu vois ton père se coucher devant ta porte avec pleurs et lamentations, et si ta mère te montre le corps qui t’a porté et le sein qui t’a allaité, n’hésite pas à les fouler aux pieds pour aller droit auChrist. " Par cette " monstrueuse inhumanité " , comme Luther la qualifiera plus tard, inhumanité " qui rappelle plus le loup et le tyran que l’esprit du Maître " , les enfants en venaient à renier leurs parents. (Sears, Barnas, Life of Luther, p. 70, 69.) A l’instar des pharisiens, les chefs de la hiérarchie romaine anéantissaient le commandement de Dieu au profit de leurs traditions. Des parents étaient privés de la compagnie de leurs fils et de leurs filles, et plongés dans la désolation. Les pauvres dupes qui, plus tard, s’apercevaient qu’ils avaient manqué leur vie et réduit leurs parents au désespoir avaient beau regretter leur décision : une fois pris au piège, il leur était impossible de recouvrer leur liberté.

Même des élèves d’universités, séduits par les discours des moines, entraient dans leurs ordres, au point que bien des parents, redoutant cette éventualité, renoncaient à faire étudier leurs fils. De ce fait, le nombre des étudiants dans ces centres scolaires se trouvait considérablement réduit. Les écoles languissaient et l’ignorance était générale.

Le droit de confesser et de donner l’absolution que le pape avait accordé aux moines mendiants était aussi la source de maux innombrables. La soif du gain les poussant à accorder le pardon même aux pires des criminels qui s’adressaient à eux, on vit bientôt le vice monter comme une marée. Les malades et les pauvres étaient abandonnés ; les aumônes qui auraient dû leur être réservées allaient aux religieux, qui les exigeaient avec menaces, et dénonçaient l’impiété de ceux qui les leur refusaient. Les moines faisaient profession de pauvreté, ce qui n’empêchait pas leur fortune d’aller sans cesse en augmentant. Leurs somptueux édifices et leurs tables richement servies rendaient d’autant plus apparente la pauvreté de la nation. Pendant qu’ils s’adonnaient à la bonne chère et aux plaisirs, ils se faisaient remplacer dans leurs fonctions par des hommes incapables. Ceux-ci ne savaient que raconter des fables, des histoires invraisemblables et des farces pour amuser le peuple et l’asservir plus complètement encore. Les foules ignorantes en étaient venues à croire qu’en somme la religion, moyen de s’assurer une place au paradis, consistait à reconnaître la suprématie du pape, à honorer les saints et à faire des largesses aux religieux.

Des hommes instruits et pieux avaient vainement tenté de réformer ces ordres. Wiclef, plus perspicace, s’attaqua à la racine du mal, en déclarant que le système lui-même était faux, et qu’il fallait l’abolir. Les discussions qui s’ensuivirent éclairèrent les esprits. Des moines parcourant le pays en vendant des indulgences rencontrèrent bien des gens qui doutaient de la possibilité d’acheter le pardon à prix d’argent, et se demandaient sérieusement s’il n’était pas préférable d’aller le demander à Dieu plutôt qu’au souverain pontife. (Voir Appendice (a12).) D’autres, alarmés de la rapacité des religieux dont la cupidité leur paraissait insatiable, disaient : " Les moines et les prêtres de Rome nous rongent comme la gangrène. Il faut que Dieu nous en délivre, ou ce peuple périra. " (Merle d’Aubigné, ouv. cité, liv. XVII, ch. VII.) Les religieux, pour cacher leur avarice, invoquèrent l’exemple du Christ et de ses disciples qui, eux aussi, disaient-ils, avaient vécu de la charité publique. Ces excuses les perdirent, car on voulut interroger l’Ecriture pour savoir ce qu’il y avait de vrai dans ces assertions. C’était justement ce que Rome redoutait le plus : voir l’attention du monde se porter vers la source de la vérité, qu’elle avait tout intérêt à tenir cachée.

Dans le dessein non d’entrer en dispute avec les religieux, mais d’attirer l’attention du peuple sur les enseignements des Ecritures et sur leur Auteur, Wiclef se mit à écrire et à répandre des tracts contre les moines. Il soutenait que le pouvoir de pardonner et d’excommunier ne résidait pas plus chez les papes que chez les prêtres, et que nul ne pouvait être réellement excommunié sans avoir d’abord encouru le déplaisir de Dieu. Il n’eût pu s’y prendre mieux pour renverser le gigantesque édifice de domination spirituelle et temporelle que le pape avait érigé, et qui tenait des millions de corps et d’âmes courbés sous sa domination.

Une fois de plus, Wiclef fut appelé à défendre les droits de la couronne d’Angleterre contre les empiétements de Rome. Désigné comme ambassadeur royal, il passa deux ans à conférer avec les représentants du pape aux Pays-Bas. Dans ses rapports avec des prélats de France, d’Italie et d’Espagne, à même de voir ce qui se passait dans les coulisses, Wiclef y apprit bien des choses qui devaient lui servir dans ses travaux ultérieurs. Il discerna chez les légats de la cour pontificale la véritable nature et les visées de la hiérarchie. Rentré en Angleterre, il reprit son enseignement avec un nouveau zèle et un nouveau courage, proclamant que les dieux de Rome étaient l’avarice, l’orgueil et le mensonge.

Dans un de ses tracts, parlant du pape et de ses quêteurs, il s’exprime ainsi : " Ils drainent de notre pays le nécessaire des pauvres ; chaque année, des milliers de marcs de l’argent du roi servent à payer les sacrements et le casuel, ce qui n’est autre chose qu’une damnable simonie exercée aux dépens de la chrétienté. Certes, si notre pays possédait une montagne d’or à laquelle personne ne touche que le quêteur de ce pontife orgueilleux et mondain, il arriverait qu’avec le temps cette montagne finirait par disparaître, ne nous laissant en retour que la malédiction de Dieu. " (Rév. John Lewis, History of the life of Sufferings of J. Wicliffe (éd. 1820), p.37.)

Peu après son retour en Angleterre, Wiclef fut appelé par le roi à remplir les fonctions de recteur de Lutterworth. Ce choix prouvait que le franc-parler du réformateur n’avait pas déplu au monarque. L’influence de Wiclef se faisait sentir sur les décisions de la cour aussi bien que sur l’opinion publique.

Les foudres papales ne tardèrent pas à se déchaîner contre lui. Trois bulles adressées à l’Angleterre — dont l’une à l’Université, l’autre au roi et la troisième aux prélats — ordonnaient des mesures immédiates et décisives pour fermer la bouche au fauteur d’hérésie. (Voir Appendice (a13).) Avant l’arrivée de la bulle, toutefois, les évêques, dans leur zèle, avaient sommé Wiclef de comparaître devant eux.. Deux des princes les plus puissants du royaume l’accompagnaient devant ce tribunal ; la foule, faisant irruption, intimida tellement les juges que l’enquête fut suspendue et que Wiclef put s’en retourner en paix. Plus tard, les prélats s’efforcèrent de circonvenir le vieil Edouard III contre le réformateur, mais le roi venant à mourir, l’ancien protecteur de Wiclef devint régent du royaume.

La bulle papale sommait toute l’Angleterre de faire arrêter et incarcérer l’hérétique. Ces mesures sous-entendaient le bûcher, et, selon toute probabilité, Wiclef n’allait pas tarder à être victime de la colère de Rome. Mais celui qui avait dit autrefois : " Ne crains point... Je suis ton bouclier " , étendit de nouveau sa main pour protéger son serviteur. La mort frappa non le réformateur, mais le pontife qui avait décrété sa perte. Grégoire XI ayant disparu, les ecclésiastiques qui s’étaient réunis pour faire le procès de Wiclef se dispersèrent et la Réforme naissante continua d’être protégée par la divine Providence.

La mort de Grégoire fut suivie de l’élection de deux papes rivaux. Deux pontifes se disant tous deux infaillibles réclamaient l’obédience de la chrétienté. (Voir Appendice (a14).) Chacun d’eux appelait les fidèles à combattre son antagoniste, accompagnant ses ordres de terribles anathèmes à l’adresse de ses ennemis et promettant le ciel à ses partisans. Ces événements afiaiblissaient singulièrement le prestige papal. Les factions rivales étant occupées à se combattre mutuellement, Wiclef fut laissé en paix, tandis que se croisaient anathèmes et récriminations, et que des torrents de sang étaient versés pour soutenir les prétentions des deux adversaires. Pendant que l’Eglise était le théâtre du crime et du scandale, le réformateur, de sa paisible retraite de Lutterworth, s’employait de toutes ses forces à détourner l’attention du monde du spectacle des discordes papales pour la porter sur Jésus, le Prince de la paix.

Le schisme ouvrait le chemin à la Réforme. Les querelles et la dégradation morale dont il était la cause, ouvraient les yeux des gens sur la vraie nature de la papauté. Dans un traité sur " le schisme des papes " , Wiclef invitait ses lecteurs à se demander sérieusement si ces deux prêtres ne disaient pas la vérité quand ils s’anathématisaient l’un l’autre, se traitant mutuellement d’antichrist. " Dieu, disait-il, n’a pas permis que le Malin régnât par l’un de ces deux prêtres seulement. … Il leur a partagé le pouvoir, afin que les fidèles, au nom de Jésus-Christ, pussent en avoir raison plus aisément. (R. Vaughan, Life and Opinions of John Wicliffe (éd. 1831), vol. II, p. 6.)

Comme son Maître, Wiclef prêchait l’Evangile aux pauvres. Et, non content de répandre la lumière dans les humbles demeures de sa paroisse de Lutterworth, il voulut la porter dans toutes les parties de l’Angleterre. A cette fin, il organisa un corps de prédicateurs, hommes simples et pieux, aimant la vérité et ne désirant rien tant que de la propager. Ces hommes allaient de lieu en lieu, prêchant sur les places des marchés, dans les rues des grandes villes et dans les campagnes. Ils visitaient les vieillards, les malades et les pauvres, et leur annonçaient la bonne nouvelle de la grâce de Dieu.

En sa qualité de professeur de théologie à Oxford, Wiclef prêchait la Parole de Dieu dans les auditoires de l’Université. Son zèle à présenter la vérité à ses étudiants lui valut le titre de " docteur de l’Evangile " . Mais l’œuvre capitale de sa vie fut la traduction des saintes Ecritures en langue anglaise. Dans un ouvrage intitulé De la véracité et du sens des Ecritures, il exprimait son intention de traduire la Bible afin que tout Anglais pût lire les œuvres merveilleuses de Dieu dans sa langue maternelle.

Mais ses travaux furent soudainement interrompus. Bien qu’il n’eût pas encore soixante ans, il était prématurément vieilli, car ses labeurs incessants, ses études et les attaques de ses ennemis avaient épuisé ses forces. Les moines éprouvèrent une grande joie en apprenant qu’il était atteint d’une grave maladie. Imaginant qu’il devait amèrement regretter le mal qu’il avait fait à l’Eglise, ils s’empressèrent auprès de lui pour entendre sa confession. Des représentants de quatre ordres religieux, accompagnés de quatre magistrats civils, s’étaient réunis au chevet de celui que l’on croyait moribond : " Vous avez la mort sur les lèvres, lui dirent-ils ; soyez touché de vos fautes, et rétractez en notre présence tout ce que vous avez dit à notre détriment. " Le réformateur écouta en silence ; puis, priant son serviteur de l’aider à s’asseoir sur son lit, et regardant fixement ceux qui attendaient sa rétractation, il leur dit de cette voix ferme et tonnante qui les avait si souvent fait trembler : " Je ne mourrai pas, mais je vivrai, et je raconterai les forfaits des moines. " (Merle d’Aubigné, ouv. cité, liv.XVII, ch. VII.) Etonnés et interdits, les religieux quittèrent précipitamment la chambre du malade.

Les paroles de Wiclef s’accomplirent : Il vécut assez longtemps pour voir entre les mains de son peuple l’arme que Rome craint le plus, l’instrument céleste destiné à éclairer, à libérer, à évangéliser le monde : la Parole de Dieu. Les obstacles étaient nombreux et redoutables. Bien qu’affaibli par les infirmités, et sachant qu’il ne lui restait que peu d’années pour travailler, calme devant l’opposition et fortifié par les promesses de Dieu, Wiclef poursuivit courageusement son œuvre. En pleine possession de ses facultés intellectuelles, riche en expérience, et gardé par la Providense, il put terminer cette grande tâche, la plus importante de sa vie. Pendant que toute la chrétienté était bouleversée, le réformateur, dans son rectorat de Lutterworth, sans prendre garde à la tempête qui faisait rage au-dehors, s’appliquait paisiblement à son entreprise de prédilection.

Le moment arriva enfin où la première traduction des Ecritures en langue anglaise vit le jour. L’Angleterre pouvait lire la Parole de Dieu. Désormais, le réformateur ne craignait plus ni la prison, ni le bûcher. Il avait placé dans les mains de son peuple une lumière qu’on ne pourrait plus éteindre. En donnant les Ecritures à ses concitoyens, il avait contribué à rompre les chaînes de l’ignorance et du vice, pour libérer et ennoblir son pays, ce que les plus brillantes victoires sur les champs de bataille eussent été incapables de faire.

L’art de l’imprimerie n’étant pas encore connu, ce n’est que par un procédé lent et laborieux qu’on obtenait des exemplaires de la Bible. L’intérêt éveillé par ce livre était tel que les nombreux copistes qui s’offraient pour le transcrire ne parvenaient pas à répondre à toutes les demandes. Quelques personnes riches en désiraient une copie complète. D’autres ne pouvaient en acheter qu’un fragment. Souvent, plusieurs familles se réunissaient pour s’en procurer un exemplaire en commun. C’est ainsi que la traduction des Ecritures par Wiclef ne tarda pas à se trouver entre les mains des gens du peuple.

L’appel à la raison humaine arrachait bien des gens à leur soumission passive aux dogmes de Rome. Wiclef enseignait exactement les croyances qui caractérisèrent plus tard le protestantisme : le salut par la foi en Jésus-Christ et l’infaillible et souveraine autorité des saintes Ecritures. Les prédicateurs envoyés par lui répandaient la Bible et les écrits du réformateur avec un tel succès que bientôt la moitié du peuple anglais avait accepté la foi nouvelle.

L’apparition des saintes Ecritures jeta l’épouvante dans le camp des dignitaires de l’Eglise. Ils avaient maintenant à combattre quelque chose de plus puissant que Wiclef, une force contre laquelle leurs armes avaient peu de prise. Il n’y avait alors en Angleterre aucune loi prohibant la diffusion des Livres saints, puisqu’ils n’avaient jamais été publiés en langue vulgaire. Ces lois furent élaborées et strictement mises en vigueur par la suite. En attendant, en dépit de tous les efforts des prêtres, on jouit durant un certain temps de la liberté de répandre la Parole de Dieu.

Pour réduire au silence la voix du réformateur, les chefs de la hiérarchie le firent comparaître successivement devant trois tribunaux. Ce fut d’abord devant un synode d’évêques qui déclara hérétiques ses écrits, et qui, après avoir gagné à sa cause le jeune roi Richard II, obtint une ordonnance royale décrétant l’emprisonnement de tous les adhérents des doctrines condamnées par la cour pontificale.

Wiclef en appela hardiment du synode au Parlement, contraignant la hiérarchie à comparaître devant le conseil de la nation, et demandant la réforme des énormes abus sanctionnés par l’Eglise. La puissance avec laquelle il dépeignit les usurpations et la corruption du siège papal couvrit ses ennemis de confusion. Mais ses amis et partisans avaient plié sous l’orage, et l’on s’attendait que ce vieillard, resté seul, se soumît à la double puissance de la couronne et de la mitre. On assista au contraire à la défaite de ses adversaires. Tiré de sa torpeur par les pressants appels de Wiclef, le Parlement rapporta les édits persécuteurs et mit le réformateur en liberté.

La troisième fois, Wiclef fut cité devant un tribunal composé des plus hauts dignitaires ecclésiastiques du royaume. Ce tribunal devait naturellement se montrer impitoyable pour l’hérésie. Le moment était venu où Rome allait enfin triompher, et où l’œuvre du réformateur serait définitivement écrasée. Telle était du moins l’espérance de ses adversaires. S’ils parvenaient à leurs fins, Wiclef serait forcé ou d’abjurer ou de quitter le tribunal pour monter sur le bûcher.

Le réformateur ne fit ni rétractation ni compromis. Il soutint hardiment ses enseignements et repoussa les accusations de ses persécuteurs. S’oubliant lui-même, ainsi que sa situation, il somma ses auditeurs de comparaître avec lui devant le tribunal de Dieu, et pesa leurs sophismes et leurs erreurs à la balance de la vérité éternelle. Le Saint-Esprit manifesta sa présence au point que ses auditeurs étaient comme interdits et cloués sur leurs sièges. Semblables aux flèches du Tout-Puissant, les paroles du réformateur transperçaient tous les cœurs. Retournant avec force contre ses accusateurs la charge d’hérésie formulée contre lui, il leur demanda comment ils avaient osé répandre leurs erreurs, et, par amour de l’argent, faire trafic de la grâce de Dieu.

" Contre qui prétendez-vous vous être élevés ? leur demanda-t-il dans sa péroraison. Contre un vieillard qui a déjà un pied dans la tombe. Non ! C’est contre la vérité, qui est plus puissante que vous, et qui finira par vous vaincre . " (Wylie, liv. II, ch.XIII.) Puis il se retira de l’assemblée, sans qu’aucun de ses adversaires osât l’arrêter.

L’œuvre de Wiclef était presque achevée ; l’étendard de la vérité que ses vaillantes mains avaient si longtemps fait flotter allait leur échapper ; mais il devait rendre une dernière fois témoignage à l’Evangile. C’est de la forteresse même du royaume de l’erreur que la vérité devait encore être proclamée. Wiclef fut sommé de comparaître à Rome devant le tribunal pontifical, tribunal qui avait si souvent répandu le sang des saints. Sans se dissimuler les dangers qu’il courait, il aurait répondu à la sommation, si une attaque de paralysie ne l’en avait empêché. Il lui était impossible de faire entendre sa voix à Rome, mais il pouvait écrire, et c’est ce qu’il résolut de faire. De son rectorat, le réformateur envoya au pape une lettre respectueuse et chrétienne, mais sévère à l’égard de la pompe et de l’orgueil de la curie romaine.

" C’est pour moi, disait-il, une joie de faire connaître à tous, et spécialement à l’évêque de Rome, la foi que je professe. Celle-ci me paraissant saine et juste, j’aime à croire qu’il sera heureux de la sanctionner, ou de l’amender si elle est erronée.

" Je crois que l’Evangile de Jésus-Christ renferme toute la loi de Dieu. … Je crois et affirme que l’évêque de Rome, étant sur terre le vicaire du Christ, est lié plus que tout autre à cette loi, puisque la grandeur, parmi les apôtres, ne consistait pas en honneurs et en dignités, mais en une fidèle imitation de la vie et du caractère du Sauveur. Au cours de son pèlerinage terrestre, le Seigneur Jésus vécut dans une extrême pauvreté, repoussant toute autorité et toute gloire mondaine. … Un chrétien ne doit suivre le pape ou n’importe quel saint homme que dans la mesure où il suit lui-même exactement le Seigneur Jésus-Christ. En désirant des honneurs terrestres, Pierre et les fils de Zébédée encoururent son déplaisir, et ne doivent par conséquent pas être imités dans ces erreurs. …

" A l’exemple du Christ et de ses apôtres, le pape doit laisser au pouvoir séculier toute la puissance temporelle, et exhorter fidèlement tout le clergé à en faire autant. Du reste, si, en quoi que ce soit, j’ai erré, je consens très humblement à être ramené de mon égarement, fût-ce au prix de ma vie si cela est nécessaire.

" Quand à l’appel que l’on m’a adressé, je désirerais pouvoir y répondre, mais les enseignements du Seigneur m’ont appris que c’est à Dieu plutôt qu’aux hommes qu’il faut obéir. "

Wiclef concluait en disant : " Prions notre Dieu qu’il agisse, comme il a commencé de le faire, sur le cœur de notre pape Urbain VI, afin que lui et son clergé puissent suivre notre Seigneur Jésus-Christ dans sa vie et dans son caractère, et que tous ensemble ils puissent marcher fidèlement sur ses traces. (Foxe, Acts and Monuments (édit. by Rev. J Pratt ), vol. III, p. 49, 50.)

En manifestant ainsi la douceur et l’humilité de Jésus devant le pape et ses cardinaux, Wiclef démontrait au monde entier le contraste existant entre ces derniers et le Maître qu’ils prétendaient représenter.

Le réformateur avait la conviction que sa vie serait le prix de sa fidélité. Le roi, le pape et les évêques étaient unanimes pour le condamner : quelques mois à peine, selon toutes prévisions, le séparaient du bûcher. Mais son courage demeurait inébranlable. " Que parlez-vous, disait-il, d’aller chercher au loin la palme des martyrs ? Annoncez la parole de Christ à de superbes prélats, et le martyre ne vous manquera pas. Vivre et me taire, jamais ! Que le glaive suspendu sur ma tête tombe ! J’attends le coup. " (Merle d’aubigné, ouv. cité, liv. XVII, chap. VIII.)

Cette fois encore, Wiclef échappa à ses ennemis. Celui qui, sa vie durant s’était hardiment déclaré pour la vérité au milieu des plus grands périls, ne devait pas tomber victime de la haine de ses ennemis. Jamais Wiclef n’avait pensé à se défendre, mais Dieu avait été son protecteur ; et maintenant que ses ennemis croyaient le tenir, il le plaçait hors de leur atteinte. Alors que le réformateur se disposait à présider un service de communion dans son église de Luttenvorth, il eut une attaque de paralysie, dont il mourut peu après.

Le Dieu qui avait assigné à Wiclef sa tâche, et placé ses paroles dans son cœur, avait veillé sur sa personne, et prolongé sa vie jusqu’à ce que fussent jetées sûrement les bases du grand œuvre de la Réforme.

Sortant des ténèbres du Moyen Age, Wiclef n’avait pu appuyer son œuvre de réforme sur aucun prédécesseur. Appelé, comme Jean-Baptiste, en vue d’une mission spéciale, il fut le fondateur d’une ère nouvelle. Pourtant, sa conception de la vérité présente un degré d’unité et de perfection que les réformateurs subséquents n’ont jamais surpassé, et que certains, venus un siècle plus tard, n’ont pas même atteint. Les fondements jetés par ses mains étaient si larges, si profonds et si solides, que ses successeurs n’eurent pas la peine de les poser à nouveau.

Le mouvement inauguré par Wiclef en vue de la libération des esprits et des consciences, comme aussi de l’affranchissement des nations si longtemps enchaînées au char triomphal de Rome, puisait son énergie dans la Parole de Dieu, source du fleuve de bénédiction qui, depuis le quatorzième siècle, a coulé sur le monde. Intransigeant, Wiclef voyait dans les Ecritures la révélation inspirée de la volonté de Dieu, la règle unique de la foi et de la vie. On lui avait appris à considérer l’Eglise de Rome comme divine et son autorité comme infaillible, ainsi qu’à recevoir avec une confiance aveugle les enseignements et les usages sanctionnés par une pratique millénaire. Mais il avait fermé l’oreille à toutes les voix pour n’entendre que la Parole de Dieu devant laquelle il invitait le monde à s’incliner. Au lieu d’écouter l’Eglise parlant par la bouche du pape, il déclarait que la seule autorité en matière de foi est la voix de Dieu s’exprimant dans sa Parole. Non seulement, affirmait-il, les Ecritures sont une révélation parfaite de la volonté divine, mais le Saint-Esprit est leur seul interprète, et c’est par une étude personnelle que chacun est appelé à connaître son devoir. Il détournait ainsi les esprits loin du pape et de l’Eglise pour les diriger vers la Parole de Dieu.

Wiclef a été l’un des plus grands réformateurs. Par l’envergure de son esprit et la lucidité de sa pensée, par sa hardiesse et sa constance dans la défense de la vérité, il n’a été égalé que par un petit nombre de ses successeurs. Une vie pure, une inlassable activité dans l’étude et dans le travail, une intégrité incorruptible, un dévouement et une charité apostoliques dans son ministère : telles furent les qualités maîtresses du premier des réformateurs. Cela, en dépit des ténèbres intellectuelles et de la corruption morale de son siècle.

La vie de Wiclef est un monument de la puissance éducatrice et transformatrice de la Parole de Dieu. Le saint Livre fit de lui ce qu’il fut. L’effort exigé par l’étude des grandes vérités de la révélation communique à toutes les facultés une fraîcheur et une vigueur nouvelles. Il élargit la pensée, aiguise l’esprit, mûrit le jugement. Plus que toute autre étude, celle de la Bible ennoblit les sentiments et les aspirations. Elle inspire la persévérance, la patience, le courage, la fermeté ; elle forme le caractère et sanctifie l’âme. Une étude respectueuse des Ecritures nous met en contact direct avec l’Esprit divin ; elle donne au monde des hommes plus forts, des génies plus puissants, des caractères plus nobles que l’étude de la philosophie. " La révélation de tes paroles éclaire, elle donne de l’intelligence aux simples. " (Psaume 119 : 130. )

Les doctrines enseignées par Wiclef continuèrent à se répandre pendant un certain temps. Sous le nom de Wicléfïtes et de Lollards, ses disciples travaillèrent avec un zèle redoublé à répandre la Parole de vie non seulement en Angleterre, mais en d’autres pays. Des foules accouraient pour entendre leurs enseignements. Au nombre des convertis se trouvaient des membres de la noblesse, et même la reine. Les rites et les vestiges idolâtres du romanisme disparaissaient des églises. En maints endroits, on constata une réforme radicale des mœurs.

Mais bientôt l’impitoyable tempête de la persécution s’abattit sur ces fidèles chrétiens. Les monarques anglais, désireux d’affermir leur trône en s’assurant l’appui de Rome, n’hésitèrent pas à sacrifier les réformateurs. Pour la première fois, au cours de l’histoire d’Angleterre, le supplice du bûcher fut décrété contre les disciples de l’Evangile. Les martyres succédèrent aux martyres. Les hérauts de la vérité, proscrits et torturés, n’avaient d’autre recours que l’Eternel des armées. Traqués comme ennemis de l’Eglise et traîtres à la patrie, ils continuaient de prêcher en secret dans les demeures des pauvres, et souvent même dans des cavernes.

En dépit de la fureur des persécuteurs, une protestation calme, pieuse, intense et persévérante continua de se faire entendre, des siècles durant, contre la corruption de la foi religieuse. Ces chrétiens n’avaient qu’une connaissance imparfaite de la vérité, mais ils avaient appris à aimer la Parole de Dieu et à lui obéir, et pour elle ils marchaient courageusement à la mort. Comme aux jours apostoliques, plusieurs consacraient leurs biens terrestres à la cause du Christ. Ceux qu’on laissait en possession de leur demeure y recevaient leurs frères expulsés de leurs foyers ; et quand, à leur tour, ils devaient quitter leur toit, ils acceptaient joyeusement une vie de proscrits. Malheureusement, des milliers, terrifiés par la rage des persécuteurs, achetaient la liberté au prix de leur foi. Pour rendre leur rétractation plus impressionnante, on les revêtait, à leur sortie de prison, du vêtement des pénitents. Mais nombreux furent ceux qui, tant dans la noblesse que parmi les gens du peuple, rendirent hardiment témoignage à la vérité dans les cachots et dans les " Tours des Lollards " , heureux, au milieu des tortures et des flammes, de participer aux souffrances de leur Maître.

Faute d’avoir pu assouvir leur colère sur Wiclef durant sa vie, les champions de Rome n’eurent aucun repos tant que ses ossements reposèrent tranquillement dans la tombe. A la suite d’un décret du Concile de Constance, plus de quarante ans après la mort du réformateur, ses restes furent exhumés, publiquement livrés aux flammes, et ses cendres jetées à la rivière. " Cette rivière, dit un ancien auteur, les transporta dans l’Avon, l’Avon, dans le Severn, le Severn dans le canal de Bristol, et celui-ci dans l’Océan. Ainsi, les cendres de Wiclef devinrent l’emblème de sa doctrine, aujourd’hui répandue dans le monde entier. " (Fuller, Church History of Britain, liv. sect. 2, par. 54.) Ses ennemis se doutaient peu du sens symbolique de leur acte.

C’est sous l’influence des écrits de Wiclef que Jean Hus fut amené à renoncer à plusieurs des erreurs du romanisme et à entreprendre l’œuvre de la réforme en Bohême. Deux pays si éloignés l’un de l’autre recevaient ainsi les semences de la vérité ! De la Bohême la lumière se répandit en d’autres lieux. Les esprits étaient dirigés vers la Parole de Dieu si longtemps oubliée. Une main divine préparait le chemin à la grande Réforme.


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